LES EMPREINTES PROTEIFORMES DE SLIMANE OULD MOHAND
Slimane Ould Mohand peint depuis l’enfance. Il n’arrête pas de peindre; il grave aussi régulièrement. Tantôt gravement, tantôt avec humour. La terre natale a laissé en lui une empreinte indélébile. On peut la voir dans chacune de ses peintures. Et chacune de ses gravures en porte la trace. Dans le silence de son atelier peuplé de souvenirs issus tout droit de l’enfance, il peint et grave inlassablement. Comme chez le Douanier Rousseau, faune et flore côtoient les humains, et tous, naturellement, discutent devant Le Mur des palabres *. Dans l’univers presque onirique de Slimane, il n’y a pas de conflits. Si par moment y monte un chahut, s’il y fuse parfois un éclat de voix, ce n’est jamais rien de grave. Seulement des étourneaux [ Azerzour ] qui se croient obligés de parler fort pour se faire entendre d’un vieux chat sourd et bigleux [ Amchiche ]. Ou un âne qui hurle à l’amour, suppliant le soleil et les mouches d’être plus cléments. Une foule de badauds déambule sans but dans les rues de Birkhadem, espérant que la ville se métamorphose en paquebot mettant le cap sur l’Ailleurs. Et pourtant, ils savent bien, tous ces Passagers , qu’il suffit de peu pour que ce soit cet Ailleurs qui vienne à eux et les sorte de la grisaille. Avec son sens aigu de l’hospitalité, il réserve une place sur son support à chaque souvenir qui surgit, à chaque chose, chaque animal, à L’Ami bien évidemment, et à son Cri aussi. Souvent, sa générosité le pousse à nous offrir plusieurs peintures sur une même toile, plusieurs histoires dans une même gravure, courant le risque d’affoler notre regard, de nous fourvoyer dans la richesse de ses affriolantes matières – On en mangerait dirait Aksouh. Mais on en sort toujours émerveillé et comblé. La vérité c’est que Slimane travaille contre L’Absence, contre Le Vide et Le Néant. C’est pour cela que ses peintures sont pleines, que ses gravures sont habitées. Elles disent la vie passée et présente – et même future! Et elles en débordent. Ce sont, oui, de véritables Palimpsestes de l’exil. Dans le miroir de la plaque de cuivre, c’est parfois le visage de l’angoisse qui se reflète. Slimane l’entame, d’abord à coups de burin, ensuite à l’acide. Et quand il recouvre la plaque d’une feuille de vélin d’Arches immaculée, et qu’il l’écrase du rouleau de sa presse, ce n’est pas un requiem qu’il en extrait, mais un hymne à la vie. Si le monde est bien vivant, Slimane ne perd pas de vue qu’il peut être aussi malade et même parfois maboul. C’est pourquoi il travaille aussi contre la bêtise et L’Absurdité. Mais toujours dans la joie et la bonne humeur. C’est souvent que ses amis lui rendent visite dans son atelier pour lui remonter le moral quand ça ne va pas fort : Graeme AIlwright et Apollinaire, Rabah Belamri et Richard Texier, Kateb Yacine et Issiakhem. Il débouche une bouteille et trinque avec eux. Dans un nuage de fumée, ils lui racontent des histoires de Djeha à se tordre de rire. Lui, en échange, leur conte des blagues salées et des aigres-douces. Tout cela pour dire l’impossibilité de parler de peinture en général et de celle de Slimane en particulier. Parce qu’au fond. il n’y a rien à en dire de plus, à part qu’elle existe et qu’elle est bien vivante. C’est un travail qui mérite d’être vu, avec lequel on se sent en bonne compagnie. Comme un ami avec qui on boit un coup. Quand vous aurez vu le travail de Slimane, quand vous en aurez goûté un morceau (des yeux, s’entend), puis deux, puis trois, puis tout, vous pourrez toujours aller le raconter à d’autres. Mais alors méfiez-vous, c’est vous-même que vous serez tenté de raconter, car les oeuvres de Slimane feront désormais partie de vous. Tel est le secret, telle est la magie de son travail.
Hamid TIBOUCHI
Slimane Ould Mohand
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no comment