Nicolas Fedorenko

Né au milieu d’un siècle de violence et de cruauté jusqu’alors inégalées, j’ai malgré tout connu des années d’insouciance, les vacances, les baignades, la maisonnette devant la plage avec sa table ronde et les matelas de varech. Où et quand aurais-je pu rencontrer une quelconque souffrance ?

Elle était là pourtant, dissimulée dans les inoubliables récits d’enfance de notre père, un exilé qui avait fui l’Ukraine de Staline et ne nous a épargné aucun détail de son odyssée.

D’abord il y a eu l’apprentissage aux beaux-arts d’Aix-en-Provence sur les pas de Cézanne, puis Nantes pour ses résonances surréalistes, Vaché, Breton, et enfin Paris où le bouillonnement des années 70 m’a permis de rencontrer des hommes et des idées neuves.

Finalement, comme mon activité de peintre s’affirmait, je suis devenu professeur à l’école des beaux-arts de Brest. Cela a été le commencement d’une vie consacrée à la Peinture. Cependant, une vie de peintre ne saurait se réduire à une liste, aussi fournie soit-elle, d’expositions, d’articles de presse, de récompenses. Les œuvres seules demeurent et disent qu’un être a existé, qu’il a pensé, regardé, rêvé. (…)

Il y a eu enfin cet accrochage à Kerguéhennec, où un étrange sentiment d’abandon me prit, au moment où chaque tableau trouva sa juste place, faisant alors de moi un de ses constructeurs «de miroir-j’entends : tous ceux qui ont pour but le plus urgent d’agencer de ces faits qu’on peut croire être les lieux où l’on se sent tangent au monde et à soi-même1» ; et de cette exposition : comme un lieu inconnu de combat et de folie restant à conquérir.

1 Michel Leiris, Miroir de la tauromachie, Fata Morgana, 1981.

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